• Entre sacré et profane

    Entre sacré et profane :

    L’ouverture du Losar de Phoker

    Entre sacré et profane


    Une partie des habitants de la communauté s’est regroupée dans le bas du village autour d’un grand feu de genévrier qui crépite dans la nuit. Le genévrier est destiné à chasser les mauvais esprits et à purifier l’air. Il n’y a là que des hommes pour cette première partie de l’ouverture du Losar, car, me dit Samphel, si les femmes sont présentes cela risque de générer des commérages qui vont perturber l’oracle et le Labdak.

     

    Les hommes présents, empilent les offrandes : piles de galettes, bouteilles de chang thermos de thé. Le Labdak et sa suite, la Pampa arrivent aux alentours de minuit.

    Le cérémonial peut commencer : dans sa prise de parole inaugurale,  il nous souhaite la bienvenue et demande à l’assistance de nous recevoir honorablement car nous sommes venus de loin pour assister à la cérémonie. Il annonce aussi que nous allons filmer et enregistrer  l’ensemble du Losar avec son accord, car l’oracle avait prédit que quelqu’un de l’extérieur viendrait  faire ce travail dans un souci de transmission au monde.

    Entre sacré et profane


     

    Ceci étant fait, il entame le rituel : avec l’aide son assistant il déplie et entasse des mètres et des mètres de tissu blanc qu’il va ensuite tresser de manière très savante sur la tête du-dit assistant. Cette opération complexe prend bien une heure, lorsque la coiffe est terminée, le Labdak l’enlève de la tête de son assistant et la pose sur la sienne.

    Les musiciens se mettent à jouer et la troupe, la pampa va à son tour revêtir ses autours de cérémonie, soit une longue tunique en laine écrue ceinturée de cordons de couleurs et un masque dissimulant leur visage à l’exception de trous pour les yeux et la bouche.

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    Lorsqu’ils sont prêts, ils entament leur danse derrière le Labdak, tournant autour du feu en poussant des cris singuliers.  Le Losar de Phoker est déclaré officiellement ouvert. Le Labdak , sa suite et l’assistance, se dirigent alors dans la nuit vers les ruines de l’ancien palace qui surplombe la communauté, il est  plus de  deux heures du matin.

     

    Ils termineront cette première nuit, à l’aube dans la maison du Labdak où attend l’ensemble de la communauté, femmes comprises cette fois-ci. Chants et danses se succèdent, des litres de thé, de chang et d’eau chaude sont consommés, accompagnés toujours de nourriture, biscuits ou galettes.

    Entre sacré et profane


     

    La célébration oscille sans cesse entre le sacré et le profane. Au terme de cette première nuit, l’assistance est invitée à se retrouver au monastère qui surplombe la communauté, dans la matinée.

    A dix heures du matin, nous gravissons donc le sentier escarpé qui mène au temple du monastère. Lorsque nous arrivons, un groupe de villageois déjà sur place a installé la cuisine de campagne, ce qui est tout à fait bienvenu car le thé chaud est  plus qu’apprécié par le froid mordant qu’il fait malgré un ciel sans nuage et un soleil éclatant.

    Entre sacré et profane

     

    Lorsque la troupe du Labdak arrive, on entre dans le monastère aux murs couleur bordeaux, baigné dans un clair obscur qui adoucit les formes. Deux  jeunes moines aux allure de slammeurs, terminent la confection des offrandes : des petites statuettes de bois peint en bordeaux. Ces effigies représentent les actions négatives qu’auraient pu commettre les villageois et  symbolisent la conscience qu’ils ont de ces actes.

     

    Une fois la troupe du Labdak installée, les deux jeunes moines entament une envoûtante récitation d’anciens mantras, s’accompagnant d’un instrument à percussion et de cymbales. A nouveau, je suis frappée par leur phrasé qui pourrait être celui de slammeurs et leur sens du rythme. Je les enregistre intégralement. A la fin de ce qu’on pourrait appeler leur performance car l’un des mantras va durer plus de 40 minutes sans interruption, je vais les voir pour les féliciter.

    Ils m’invitent à venir avec le reste de l’équipe, leur rendre visite au monastère. Rendez-vous est pris .

    Entre sacré et profane

     

    Durant la célébration du Losar, la partition musicale est par tradition assurée par le Musicien Officiel, membre de la caste des musiciens et dépositaire des mélodies qui rythment la vie de la communauté tout au long de l’année. Or il s’avère qu’à Phoker, lorsque le Musicien Officiel est décédé, son fils, n’a pas voulu prendre la relève.  C’est alors RIGZIN NAMGAIL qui a proposé d’assurer ce rôle. Nous l’avons rencontré la veille de l’ouverture du Losar, car c’est un de nos voisins et nous étions conviés à prendre le thé et le chang chez lui.

     

    Rigzin est donc percussionniste, il a appris depuis son jeune âge en observant le Musicien Officiel et en mémorisant les mélodies. A présent le voilà investit dans les célébrations du losar, c’est-à-dire qu’il y passe tout son temps, car il accompagne le Labdak et la Pampa dans leurs déplacements et bien entendu, il est avec son collègue le flûtiste, de toutes les célébrations. Rigzin prend sa tâche très au sérieux, il nous raconte s’être purifié un mois avant l’ouverture du Losar, en suivant un régime végétarien qui est inhabituel pour ces habitants des montagnes, en se privant également d’ail, d’oignon, en ne faisant plus brûler de bouses de yacks dans la maison préalablement purifiée avec du genévrier brûlé, en se tenant à l’écart des maisons où s’est produit une naissance ou une mort.

    Entre sacré et profane


     

    En prenant également deux bains par jour, ce qui n’est pas une mince affaire car les maisons n’ont pas l’eau courante et sont très peu chauffées pendant l’hiver. Nous avons adopté l’hygiène d’ici c’est-à-dire, une douche rapide avec un seau d’eau tiède dans une pièce glacée, après ça, on est partis pour la journée, l’idée même d’un bain nous semble appartenir à un autre monde et à vrai dire, nos n’avons pas le temps d’y songer, tant nous nous sommes trouvés rapidement plongés dans cette aventure qui nous emmène aux frontières du subtil.



    [1]

    Losar : Nouvel An Tibétain


  • Commentaires

    1
    Prague
    Mardi 7 Décembre 2010 à 19:58

    Merci Merci pour le récit de cette aventure et toutes les effluves qui s'en dégagent : sonorités, couleurs, parfums, mystère, langage du coeur, semences, lumière et profondeur de la nuit et j'en passe pour mieux y revenir et m'imprégner encore de ce lieu là 

    et le soulagement de vous savoir arrivées 

    la solitude citadine s'étiole à grands pas alors et, avec elle, s'éloigne aussi le regard obscurci de l'immobilité qui nous met en exil du foyer sacré de la vie

    Merci à ce peuple qui vous accueille !

     

     

    2
    kristiane
    Mercredi 8 Décembre 2010 à 20:33

    Que je suis contente et émue....


    Nous aurons tant de choses à partager à ton retour..;


    J'aurai tant aimé y être !!!


    A très bientôt

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