• Phoker Chomo: à la limite des mondes

    Phoker Chomo

    A la limite des mondes

     

    Phoker Chomo, A la limite des mondes

    Alors voilà, nous y sommes, c’est aujourd’hui que nous allons rencontrer  Phoker Chomo, l’oracle à travers son incarnation physique actuelle, le Lhaba. Auparavant Samphel aura demandé une audience à l’homme pour lui expliquer la raison de notre raison et savoir si nous étions autorisés à assister à la séance et éventuellement à l’enregistrer ou à la filmer.

    Donc oui, nous pouvons y aller, il n’est pas encore certain que nous puissions filmer mais enregistrer le son est accepté.  Nous sommes évidemment nerveux et excités à la fois. Samphel ne cesse de nous prévenir qu’il n’est pas sûr que l’oracle se manifeste et qu’il faudra de toute façon se tenir à distance avec la caméra car il risque d’avoir des réactions incontrôlées.

     

    Phoker Chomo, A la limite des mondes

     

    Nous spéculons donc sur ce qu’il va se passer en prenant le thé du matin alors que le soleil n’est pas encore apparu. Il est décidé que seuls Gilles et moi irons, accompagnés de Samphel, les filles et Annick resteront à la maison. Nous ne voulons pas perturber outre mesure cette séance très spéciale, en multipliant les présences étrangères.

    On part donc avec notre matériel et nos offrandes vers la maison du Labdak où doit se tenir cette rencontre avec le monde des esprits.

     

    Phoker Chomo, A la limite des mondes

     

    Nous arrivons les premiers, dans la pièce maintenant familière où nous avons rencontré le Labdak plusieurs fois à présent. Un homme de plus de 7O ans, au visage expressif, vêtu de la traditionnelle robe ladakhie y est en méditation. Il chantonne des mantras, agite une clochette, fait tourner un moulin à prière, met du safran dans un verre d’eau, verse un liquide sur une fontaine d’offrande, agite ses mains dans l’espace, en introspection profonde. Autour de lui, le Labdak, Stanzin son fils et quelques villageois, s’affairent avec déférence et discrétion, apportant du thé, des offrandes, alimentant le feu. A côté du Lhaba repose l’objet symbolique qui me fait penser au bundle des Indiens des plaines en Amérique du Nord, un objet de pouvoir donc, qui ressemble à une grosse outre en tissu, harnachée de khatak, les écharpes blanches en soie de bienvenue. Cet objet représente l’esprit de Phoker Chomo quand celui-ci n’est pas manifesté, c’est du moins ce que je comprends des explications de Samphel.

     

    Nous commençons discrètement à filmer les préparatifs, après en avoir eu l’autorisation par l’homme actuellement en méditation. Il nous dit qu’il suit la voie de Milarépa, le grand mystique poète indien.

    Cet homme est donc le Lhaba, le support incarné actuel de Phoker Chomo. C’est par lui que l’oracle va se manifester ou pas…

    Plus tard, cet homme nous racontera qu’à l’âge de 12 ans, il avait été pris de folie, cet état à duré une année pendant laquelle il ne parvenait pas à retrouver ses esprits. Il s’est alors rendu à pieds voir différents maitres spirituels, des Rimpotché pour la plupart qui tous lui dirent la même chose : Phoker Chomo demandait à s’incarner à travers lui et il devait accepter d’être le support de chair de cet esprit ancestral protecteur de la vallée de Phoker, sur injonction de Padmasambhava lui-même, le bouddha né d’une fleur de lotus.

     

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    Cela n’était pas complètement surprenant pour lui car son grand père avait déjà accompli cette destinée, il y a donc une transmission transgénérationnelle de la fonction de canal dans sa famille. Depuis soixante ans maintenant, le Lhaba, sert d’hôte à l’oracle. Il dit qu’avec l’âge, cette fonction est devenue de plus en plus lourde à assumer car chaque interaction avec l’esprit lui coûte beaucoup d’énergie. Pour l’instant, son successeur n’est pas encore identifié, même s’il pense qu’il pourrait s’agir de son petit fils, mais il n’y a encore aucune certitude à ce propos.

     

    Ses facultés physiques déclinant, le Lhaba est obligé de limiter les transes, mais aujourd’hui il est là.

    Pour l’heure, sortant de sa méditation et après avoir fait ses ablutions,  il revêt son habit de cérémonie, un espèce de kimono bleu avec une ceinture blanche, par dessus lequel il passe une collerette jaune or. Stanzin l’aide à ceindre un tablier multicolore et sa coiffe jaune argentée. Le Lhaba est prêt, une clochette à la main.  La pièce est à présent comble de villageois venus consulter l’oracle. Le Labdak se tient aux côtes du Lhaba, il n’a plus son habit de cérémonie, ni sa coiffe, mais porte l’élégante robe pourpre de tous les jours.

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    La tension monte d’un cran, tous les regards sont fixés sur le Lhaba. Gilles a dû se mettre au fond de la pièce avec la caméra, moi, je suis juste à pied d’œuvre, au premier rang, pour prendre le son.

     

    Le Lhaba prononce une sorte d’invocation, puis il est agité de soubresauts, est secoué de quelques hoquets et se redresse : son regard est halluciné, l’esprit de Phoker Chomo a pris possession de lui. Il s’exprime dans la langue des oracles, avec voix d’un autre monde dont la vibration aigue résonne fortement dans mes oreilles a travers le casque.

    Je réalise soudain que j’entends ce son bien mieux que n’importe qui d’autre dans la pièce car je suis en train de l’enregistrer en stéréo. C’est très troublant, car ce son produit une drôle d’impression, je m’efforce à garder ma concentration.

    Phoker Chomo, A la limite des mondes

     

    Il y a soudain beaucoup d’émotions et de ferveur dans la pièce. Tout devient extraordinaire. L’oracle par l’intermédiaire du Lhaba, s’adresse à l’assistance, le Labdak traduit car personne d’autre ne comprend la langue des oracles. Certains se mettent à pleurer, d’autres prient, la tension est extrême.

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    Il appose une sorte de bénédiction sur la tête du fils du Labdak agenouillé à ses pieds, le jeune homme est bouleversé. Les choses se passent très vite, le visage du Lhaba est méconnaissable, ses traits et son regard surtout ne sont plus les mêmes. Ses mains agitent la clochette, sa voix grésille à nos oreilles, à plusieurs reprises il va boire l’eau safranée préparée à son intention. Le Labdak traduit en ladhaki ce que l’oracle exprime dans une langue que nul ne comprend. C’est fascinant, il se passe beaucoup de choses en même temps. J’appelle Gilles pour qu’il se rapproche, il me semble qu’il est trop loin, il arrive avec la caméra. Samphel est complètement subjugué par l’oracle, les mains jointes, empli d’une tension  palpable.

    Phoker Chomo, A la limite des mondes

     

    Soudain, le Lhaba se tourne dans notre direction et s’adresse à nous : stupeur, moment de flottement : le Labdak traduit : « Phoker Chomo vous remercie d’être venus de si loin pour faire ce que vous faites… » Samphel me pousse vers l’incarnation de l’oracle, qui me passe un khatak rouge autour du cou.  Je m’incline, remercie. Soudain, nous voici en plein dans la scène que nous sommes en train de filmer !

    Phoker Chomo, A la limite des mondes

    Gilles aussi reçoit un khatak, le Labdak continue à nous traduire le message de l’oracle avec un air plein de bienveillance : « Nous ne devons pas avoir de doute sur ce que nous faisons… Ce que nous faisons est juste… » On s’incline, on remercie encore, juley, juley…

    Puis il se détourne de nous et le cérémonial reprend avec les villageois. On essaye de rester focus autant que possible sur l’image et le son qui on continuer à tourner pendant ce moment mais on est traversés par la même forme d’énergie qui a envahit tous ceux qui sont présents dans la pièce.

    Phoker Chomo, A la limite des mondes

     

    Il est difficile sur le moment de dire combien de temps, cette séance aura duré, le temps est suspendu.

    Au bout d’un moment le Lhaba, signifie que l’oracle va repartir. Assisté de Stanzin, qui lui soutient la tête, il s’allonge. Le fils du Labdak verse régulièrement de l’eau safranée sur le front de l’homme qui a fermé les yeux. A chaque fois que liquide touche son front, il a un spasme et pousse un cri. Au terme d’un spasme plus fort que les autres répété trois fois, l’esprit quitte le corps de l’homme qui s’affaisse sur lui même.

    Comme il était venu Phoket Chomo est reparti.

    Phoker Chomo, A la limite des mondes

     

    La tension retombe, l’homme se frotte le visage d’un air un peu hébété, il est revenu parmi nous, il sourit et s’adresse à l’assistance avec sa voix normale. Les villageois s’en vont petit à peu, on se retrouve en petit comité à partager le thé et la nourriture avec le Lhaba, le Labdak et les proches. Nous aussi on est un eu hébétés. On du mal à partir, nous prolongeons encore un peu la sensation qui nous habite encore et que nous ne désirons pas pour le moment analyser.

    Juste l’éprouver pour en garder la trace.

     

    Cette trace qui devrait devenir un film.


  • Commentaires

    1
    Prague
    Dimanche 19 Décembre 2010 à 20:22

    en attendant le film, ce récit et ces photographies autorisées en disent long sur l'ampleur de l'appel lancé par ce peuple...

    merci et pourvu que leur message parvienne aux nombreuses oreilles occupées et empêtrées dans les couloirs corrosifs et incidieux du virus de la haine

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    2
    Isas
    Mardi 21 Décembre 2010 à 16:12

    Chère Doris,

    J'ai lu l'ensemble présenté sur le blog et cela semble magnifique, ce voyage,  cette plongée intérieure dans le visible et l'invisible du Ladhak.

    Ici, il y a eu quelques remous sur le bien-fondé de votre expédition et surtout bien sûr sur le fait de filmer cette cérémonie secrète de l'oracle.

    Si j'ai présenté Samphel (ladhaki) à Doris, c'est que j'avais confiance en eux-mêmes, à l'espace de la rencontre, au libre-arbitre de chacun et surtout en la vie, qui est particulièrement et sensiblement ressentie par un oracle, en pleine-conscience.

    Ce que j'ai vu sur le blog me confirme l'intégrité de tous, la beauté, la bonté et donc la poésie qui se dégagent des photos sont un hymne à cette voie juste qui, du toit du monde, irradie jusqu'à nous.

    Merci d'oeuvrer pour nous transmettre ces messages qui tintent comme une redécouverte, qui préserve du matérialisme et de la médiocrité ambiante (ici).

    Bonne fin de voyage à vous, bonne continuation pour la vie et les projets!

    J'embrasse ceux que je connais et salue sincèrement les autres.

    Isabelle

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