• Tsering  Murup : Le Labdak

     

    Il nous reçoit dans sa maison. Nous arrivons avec les offrandes : l’écharpe de soie blanche et les cadeaux que nous avons ramenés de chez nous : savons et huiles essentielles à la lavande .  La pièce dans la quelle nous sommes conviés à nous asseoir est débuée de tout meubles excepté les petits bancs bas en bois ouvragé. Le sol est recouvert de tapis et de coussins, le soleil se déverse à flots par les fenêtres et illumine l’enduit bleu clair qui recouvre les murs.

     

    TSERING  MURUP : LE LABDAK

    Après les salutations, le thé est servi, celui au beurre de yack et le thé noir toujours accompagnés de nourriture. Cet homme, à la grande prestanceet au regard profond est le conducteur des célébrations qui vont se dérouler pendant les 8 prochains jours et nuits.

     

    Il nous raconte l’histoire de son ancêtre qui est à l’origine de la cérémonie qui démarre aujourd’hui. Dans des temps reculés, cet ancêtre qui était parti faire pâturer son troupeau de yacks sur la montagne, s’est endormi et s’est réveillé dans le pays de laïul, qui est la terre des oracles.

    Là, il a assisté à la célébration du Losar, le nouvel an tibétain, par les oracles.

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    Il resta absent l’équivalent d’une année  pour les humains et sa famille fort inquiète le considéra comme décédé. Ils préparèrent alors le mélange de beurre et d’encens, propre à accompagner le défunt lors de son passage. Le parfum de ce mélange réveilla l’homme qui séjournait au pays des oracles et il revint vers sa communauté.

     

     De retour, il leur transmit ce qu’il avait vu dans cet autre monde. Il se devait d’effectuer cette transmission sans absorber aucune nourriture sous peine de perdre tous ses souvenirs. Dans le pays le Lauïl, le parfum des fleurs le nourrissait et il ne connaissait pas la faim. Son esprit était entièrement dédié à observer ce à quoi il assistait.

    Sous sa dictée, la communauté consigna fidèlement la description des chants, danses, costumes et éléments du rituel qui depuis se perpétue à Phoker.

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    Depuis cette cérémonie est rejouée chaque année dans la communauté et la fonction de labdak est transmise de génération en génération au fils aîné qui à la charge de conduire le rituel. Stanzin Tsering, fils aîné du Labdak actuel, nous est présenté comme le futur labdak, ce jeune homme aux allures de prince  et au regard magnétique va assurer la charge de labdak lorsqu’on son père ne pourra plus l’assumer. On verra au fil du losar que c’est une charge non seulement spirituelle et culturelle mais également physique, car pendant la semaine du Losar, le Labdak ne dort pas, parcourt d’importantes distances à pied dans la montagne, préside des rituels qui durent tard dans la nuit voir parfois jusqu’à l’aube.

     

    Dans cette célébration, l’oracle Phoker Chomo tient une place privilégiée. Phoker Chomo était un esprit qui a rencontré le guru Rimpotché, (le précieux gourou)  également connu sous le nom de Padmasambhava (né du lotus) lorsque celui-ci vint au 8ème siècle  pour faire fleurir les enseignements du bouddhisme dans le Nord de l’Inde. Les spécialistes s'accordent à reconnaître le passage de Padmasambhava au Tibet au VIIIème ou au début du IXème siècle, ce personnage initiateur, considéré comme un second Bouddha chargé d'enseigner les tantras, prit une dimension légendaire exceptionnelle, devenant le Maître par excellence du bouddhisme tibétain. Le  mantrade Guru Rimpoche, Om Hâ Hum Vajra Guru Pema Siddhi Hum, est presque aussi célèbre que le Om Mani Padme Hum, mantra de Chenrezi.

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    L'une des originalités fortes de l'enseignement de Guru Rimpoche tient au fait qu'il nous est parvenu essentiellement sous la forme de terma (textes-trésors), c'est-à-dire de textes réputés cachés dans des grottes et lieux secrets, ainsi protégés d'une période de persécution du bouddhisme prophétisée par le Maître, afin d'être découverts, le moment venu, par les générations futures. Ce sont les tertön, incarnations de Padmasambhava ou de ses disciples, prédestinés à cette fonction, qui découvrent, au fil du temps, ces terma cachés. La quantité de textes-trésors ainsi attribués à Padmasambhava, et qui sont essentiellement des instructions tantriques, des prophéties et des conseils ou enseignements oraux, est considérable.

     

    Revenons au Ladakh, au moment où le Guru Rimpotché, vint dans le village qui est aujourd’hui Phoker au VIIIème siècle. Il y avait beaucoup d’opposants à cette forme de pensée en ce temps là, et c’est pour cette raison que le Guru Rimpotché est célèbre pour avoir disséminé des enseignements secrets qui doivent ressurgir au moment où cela va s’avérer nécessaire.

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    Lors de leur rencontre, l’oracle Phoker Chomo avait pris l’apparence d’un homme revêtu d’une robe blanche. Le guru Rimpoché le chargea de la protection de cet endroit et lui donna le nom de phoker qui est aujourd’hui celui de la communauté.

     

    L’oracle Phoker Chomo va continuer à se manifester à la communauté de Phoker à travers des incarnations humaines, son incarnation présente est un homme âgé, le labha qui transmet les instructions ou conseils de l’oracle à la communauté. Le corps du Labha sert en quelque sorte de support aux manifestations de l’oracle lorsque celui-ci doit s’adresser à la communauté ou quand il est sollicité par celle-ci. Par exemple, quand  la communauté a décidé il y a deux ans mettre en place une école prenant en compte la culture et la langue traditionnelle, ce qui n’est pas le cas de l’école publique, l’oracle a été consulté à travers le Labha et c ‘est lui qui a indiqué à quel endroit l’école du Lotus Blanc devrait être construite.

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    Etant donné le caractère sacré de cette célébration et le fait qu’elle n’ait jamais été enregistrée ni filmée, nous questionnons le Labdak sur la légitimité de notre présence pendant la cérémonie. Il  nous rassure, il semble que nous étions attendus et que l’oracle avait annoncé que quelqu’un du monde extérieur viendrait participer et étudier ce rituel pour le transmettre au monde extérieur. Inquiets des changements brutaux et rapides qui traversent l’état de Jammu & Kashmir, très marqué par la montée des intégrismes musulmans, les habitants des petites communautés himalayennes bouddhistes se sentent menacés.  De fait, l’urdu langue parlée par les musulmans est devenue la langue officielle de cet état, c’est également celle qui est enseignée dans les écoles. Les dialectes traditionnels bouddhistes ne sont pas enseignés dans le système public, la langue et la culture sont menacés. Est-ce la raison pour laquelle, j’ai été invitée  à assister à cette célébration jusqu’ici confidentielle par Samphel Tsering qui a vu un de mes films traitant du génocide culturel ?

     

    Toujours est-il que nous n’espérions pas être conviés de manière officielle à filmer et enregistrer le Losar. Par chance, ou alors comme dit Samphel , par nécessité, Gilles arrive d’un tournage au Bengladesh avec sa caméra. Je suis venue équipée en son,.

    Il semble donc que nous sommes conviés à nous mettre au travail. Le labdak pense que notre rôle est de participer à la transmission de cet enseignement à travers un film, peut-être… Cela sera confirmé à l’issue du losar, en tout cas d’une manière ou d’une autre, nous devenons les témoins de ce storytelling rejoué année après année par la communauté et ce depuis très longtemps.

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    Samphel, notre guide et ambassadeur dans les hauteurs himalayennes, l’instigateur de notre  venue ici, rayonne. Cela fait plusieurs années qu’il porte cette vision et il pense que nous sommes à présent l’équipe capable de lui donner corps. Le labdak nous accorde sa confiance et son soutien , c’est inespéré nous dit-il !

    Le labdak nous indique toutefois que cela ne sera pas une partie de plaisir car le rythme de la cérémonie est très dense et la plupart des étapes de la célébration ne sont accessibles qu’à pied !

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    Gilles et moi nous regardons : si cet homme de soixante cinq ans parcourt la montagne en vêtements de cérémonie, la nuit par-20 C°, nous devrions nous montrer capables d’en faire autant avec notre matériel de tournage avec le soutien de la communauté qui nous est à présent acquis.

    L’aventure commence !

    Nous ne savons absolument pas à quoi nous attendre.

     


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